A l’heure du projet de loi « MACRON » proposant de plafonner jusqu’à un certain seuil les honoraires des notaires concernant les transactions immobilières, les possibilités existantes qui permettent de ne pas recourir à l’office notariale pour les transferts de droits immobiliers sont sous-exploitées. Un point sur le dispositif existant permet de connaître les obligations en la matière et d’envisager des cessions de droits immobiliers sans avoir à recourir à un notaire.
La nécessité d’une publicité foncière
Tout transfert de droits immobilier est juridiquement valable entre les parties concernées par l’acte de transfert (vente, donation, legs…) même si ces dernières n’ont agi que par le biais d’un acte sous seing privé.
Le problème est que cet acte de transfert de droit immobilier ne sera pas opposable aux tiers. Par conséquent, les parties ne disposeront d’aucune sécurité juridique vis-à-vis des tiers. Ainsi, par exemple, pour un acte de vente d’un immeuble sous seing privé :
- l’ancien propriétaire, le vendeur, sera toujours considéré par les tiers comme propriétaire et en assumera les conséquences ;
- le nouveau propriétaire, l’acheteur, ne sera pas considéré par les tiers comme tel et ne pourra se prévaloir de sa propriété qu’à l’encontre du vendeur.
Pour rendre l’acte opposable aux tiers, notre système juridique raisonne par le prisme de la publicité foncière assurée par le Service de publicité foncière (ex-Conservation des hypothèques) et destinée justement à informer tout tiers du transfert de droits de propriété immobilière. C’est cette publicité qui rend l’acte opposable aux tiers.
L’article 710-1 du Code civil prévoit les actes qui peuvent être publiés :
«Tout acte ou droit doit, pour donner lieu aux formalités de publicité foncière, résulter d'un acte reçu en la forme authentique par un notaire exerçant en France, d'une décision juridictionnelle ou d'un acte authentique émanant d'une autorité administrative.
Le dépôt au rang des minutes d'un notaire d'un acte sous seing privé, contresigné ou non, même avec reconnaissance d'écriture et de signature, ne peut donner lieu aux formalités de publicité foncière. Toutefois, même lorsqu'ils ne sont pas dressés en la forme authentique, les procès-verbaux des délibérations des assemblées générales préalables ou consécutives à l'apport de biens ou droits immobiliers à une société ou par une société ainsi que les procès-verbaux d'abornement peuvent être publiés au bureau des hypothèques à la condition d'être annexés à un acte qui en constate le dépôt au rang des minutes d'un notaire.
Le premier alinéa n'est pas applicable aux formalités de publicité foncière des assignations en justice, des commandements valant saisie, des différents actes de procédure qui s'y rattachent et des jugements d'adjudication, des documents portant limitation administrative au droit de propriété ou portant servitude administrative, des procès-verbaux établis par le service du cadastre, des documents d'arpentage établis par un géomètre et des modifications provenant de décisions administratives ou d'événements naturels ».
Cet article a été créé par la Loi n°2011-331 du 28 mars 2011 ( art. 9) qui visait à reprendre les principes sur lesquels repose le régime de la publicité foncière jusqu’alors défini par le décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière et le décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955 pris pour l'application du premier. Il est ici précisé que cette loi a abrogé les deux décrets qu’elle remplace uniquement en ce qu’ils contiendraient des dispositions contraires ou incompatibles.
Le principe, ses tempéraments et ses exceptions
Il résulte de l’alinéa premier de l’article 710-1 du Code civil que par principe il peut être procédé aux formalités de publicité foncière via trois actes :
- l’acte authentique reçu par un notaire exerçant en France ;
- l’acte authentique émanant d'une autorité administrative ;
- la décision juridictionnelle.
Le principe connaît des tempéraments puisque le second alinéa de l’article 710-1 du Code civil prévoit qu’il peut être procédé à la publicité au bureau des hypothèques qu’ils aient été déposés au rang des minutes d'un notaire:
- les procès-verbaux des délibérations des assemblées générales préalables ou consécutives à l'apport de biens ou droits immobiliers à une société ou par une société ;
- les procès-verbaux d'abornement.
En outre, comme en dispose le dernier alinéa de l’article 710-1 du Code civil, ce principe contient plusieurs exceptions, l’alinéa premier dudit article n’étant pas applicable :
- aux actes accomplis dans la perspective ou à la suite d'une action judiciaire permettant de préserver ou de confirmer les droits que l'intéressé tient sur des biens immobiliers. Ainsi « des assignations en justice, des commandements valant saisie, des différents actes de procédure qui s'y rattachent et des jugements d'adjudication » peuvent être directement publiés au bureau des hypothèques.
- à certains actes administratifs qui n’ont pas la forme authentique et qui sont limitativement énumérés. Ainsi, les « documents portant limitation administrative au droit de propriété ou portant servitude administrative, procès-verbaux établis par le service du cadastre et modifications provenant de décisions administratives ou d'événements naturels » peuvent être directement publiés au bureau des hypothèques.
- aux « documents d'arpentage établis par un géomètre », qui peuvent aussi être publiés.
Le principe à la loupe
Hormis les exceptions susmentionnées, la publicité foncière doit se faire via un acte reçu en la forme authentique par un notaire exerçant en France, une décision juridictionnelle ou un acte authentique émanant d'une autorité administrative.
En premier lieu, dans la grande majorité des cas, les formalités de publicité foncière relèvent du monopole des notaires puisque l’acte authentique qui peut être publié doit avoir été reçu par un notaire.
Il convient de rappeler que l’acte authentique est selon l’article 1317 du Code civil « celui qui a été reçu par officiers publics ayant le droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé, et avec les solennités requises ».
Les officiers publics et ministériels regroupent les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, les commissaires-priseurs judiciaires, les greffiers des tribunaux de commerce, les huissiers de justice, les notaires. Les seuls habilités à faire des actes authentiques pouvant être publiés au bureau des hypothèques sont les notaires.
En second lieu, les personnes publiques disposent de la possibilité de se dispenser de notaire via un « acte authentique émanant d'une autorité administrative ».
Cet acte peu utilisé par les collectivités territoriales est prévu par l’article L 1311-13 du code général des collectivités territoriales et peut permettre de réaliser des économies intéressantes dans la mesure où il permet d’éviter les frais notariés :
« Article L1311-13
Les maires, les présidents des conseils généraux et les présidents des conseils régionaux, les présidents des établissements publics rattachés à une collectivité territoriale ou regroupant ces collectivités et les présidents des syndicats mixtes sont habilités à recevoir et à authentifier, en vue de leur publication au fichier immobilier, les actes concernant les droits réels immobiliers ainsi que les baux, passés en la forme administrative par ces collectivités et établissements publics.
Lorsqu'il est fait application de la procédure de réception et d'authentification des actes mentionnée au premier alinéa, la collectivité territoriale ou l'établissement public partie à l'acte est représenté, lors de la signature de l'acte, par un adjoint ou un vice-président dans l'ordre de leur nomination. »
En dernier lieu, une partie résiduelle des formalités de publicités foncières se fait par la voie de la publication d’une décision juridictionnelle.
À cet égard, la Loi n°2011-331 du 28 mars 2011 apporte une modification des décrets n° 55-22 du 4 janvier 1955 et n° 55-1350 du 14 octobre 1955, puisqu'elle vise les décisions juridictionnelles en lieu et place des décisions judiciaires.
Selon les travaux parlementaires de la loi , une décision juridictionnelle serait « une décision du juge qui tranche un point de droit relatif à un contentieux portant sur un immeuble ou un droit immobilier constitue une décision juridictionnelle revêtue de l'autorité de la chose jugée » par opposition à certaines décisions judiciaires qui « se limitent à donner acte aux parties de l'accord qu'elles ont passé entre elles » (rapport n°131 du sénateur BETEILLE, 24 novembre 2010 p.48, et compte rendu des débats au Sénat).
A notre sens, cette nuance ne ressort pas clairement du droit et il existe des décisions juridictionnelles qui pourraient être obtenues afin de procéder aux formalités de publicité foncières.
Ainsi, la Cour de cassation, dans une décision en date du 16 mai 2006 a établi que « La compétence des notaires ne s’oppose pas à ce que le juge, saisi sur requête, donne force exécutoire à une transaction opérant transfert de droits immobiliers, conférant ainsi judiciairement à celle-ci un caractère authentique, permettant son enregistrement et sa publication sous réserve du respect des dispositions régissant la publicité foncière » (Civ. 1ère, 16 mai 2006, Bull. civ. I, n° 243).
Pendant les travaux parlementaires susmentionnés, le rapporteur a noté que « cette décision ne tranche pas la question de savoir si la conservation des hypothèques serait tenue d'accepter de publier l'acte homologué par le juge, puisque la publication n'est autorisée que « sous réserve du respect des dispositions régissant la publicité foncière ».Note sous la décision précitée, Revue trimestrielle de droit civil, 2006, p. 823
Or, à lire totalement l’arrêt cité, il convient de remarquer que la Cour de cassation censure le raisonnement de la cour d’appel en ce qu’elle avait estimé « qu'il existait un monopole des notaires pour recevoir les contrats devant revêtir un caractère authentique et que si ce monopole n'est pas absolu, ce n'est qu'à titre exceptionnel que la loi permet à un officier public ou à un fonctionnaire spécialement désigné de recevoir un acte relevant de la volonté des parties, que quelles que soient les garanties que présente un accord intervenu devant un avocat, il ne s'agit pas d'un acte authentique ; que la forme authentique étant requise pour permettre la publicité d'un contrat entrainant la cession convenue, l'accord du 26 août 2003 ne pouvait être publié ».
La Cour de cassation reconnaît à notre sens explicitement que la transaction homologuée peut être publiée.
Il convient de noter, enfin, qu’à l’époque de l’arrêt précité l’article 1441-4 du code de procédure civile était en cause et prévoyait « Le président du tribunal de grande instance, saisi sur requête par une partie à la transaction, confère force exécutoire à l'acte qui lui est présenté ».
Cet article a été abrogé par le Décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012 (article 45) et remplacé le Livre V « La résolution amiable des différends » du même code. Dans le titre III « Dispositions communes » dudit livre, il est prévu :
« Article 1565
L'accord auquel sont parvenues les parties à une médiation, une conciliation ou une procédure participative peut être soumis, aux fins de le rendre exécutoire, à l'homologation du juge compétent pour connaître du contentieux dans la matière considérée.
Le juge à qui est soumis l'accord ne peut en modifier les termes.
Article 1566
Le juge statue sur la requête qui lui est présentée sans débat, à moins qu'il n'estime nécessaire d'entendre les parties.
S'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu la décision.
La décision qui refuse d'homologuer l'accord peut faire l'objet d'un appel. Cet appel est formé par déclaration au greffe de la cour d'appel. Il est jugé selon la procédure gracieuse.
Article 1567
Les dispositions des articles 1565 et 1566 sont applicables à la transaction conclue sans qu'il ait été recouru à une médiation, une conciliation ou une procédure participative. Le juge est alors saisi par la partie la plus diligente ou l'ensemble des parties à la transaction ».
Au vu de tout ce qui précède, il y a tout lieu de penser qu’une transaction homologuée en matière immobilière pourrait être publiée au bureau des hypothèques. En cas de refus du conservateur, il conviendrait d’attaquer ledit refus devant le juge compétent.
Toutefois il est nécessaire de rappeler qu’au sens de l’article 2042 du Code civil la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.
Mehdi ABBADI, avocat du Cabinet LEGITIMA.