S’il n’est pas possible d’interdire totalement la sous-traitance, il est possible de la réguler.
Il n’est pas rare qu’un cabinet d’avocats ait une demande relative à la sous-traitance et plus particulièrement dans quelle mesure un pouvoir adjudicateur peut refuser un sous-traitant.
Cette question rappelle en premier lieu le caractère d’ordre public de la loi. Toutefois, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne permet éventuellement d’y déroger.
Enfin, c’est dans les documents de consultation et le contrat que le maitre de l’ouvrage doit essayer de « réguler » la sous-traitance.
En premier lieu, la loi du 31 décembre 1975 est réputé être une loi d’ordre public ou, en d’autres termes, une loi à laquelle il n’est pas possible de déroger.
En effet, l’article 15 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance dispose expressément que « Sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi ».
La Cour de cassation considère même qu’il s’agit d’une loi de police (Cass. Civ. 3ème 30 janvier 2008 – n°06-14641) au sens du droit international et que le texte est donc applicable à un sous-traitant étranger employé par un titulaire lui-même étranger par un maître de l’ouvrage français.
On doit toutefois relever que si le juge judiciaire, comme administratif, a toujours considéré la protection du sous-traitant comme une obligation d’ordre public, aucune jurisprudence n’illustre à notre sens le caractère d’ordre public du fait de « devoir accepter un sous-traitant ».
La doctrine est toutefois unanime sur le fait qu’un maître de l’ouvrage ne pas refuser un sous-traitant si les conditions de sa présentation sont respectées.
En second lieu, le droit européen est venu tempérer l’appréciation d’ordre public de la loi sur un autre fondement, celui de l’égalité d’accès des entreprises devant la commande publique que le droit européen dénomme droit de non-discrimination.
Le caractère d’ordre public de la loi a donc une faille lorsque le titulaire présente un sous-traitant en cours d’exécution de la prestation.
Dans certaines conditions, le sous-traitant proposé peut être refusé par le maître de l’ouvrage.
Un arrêt certes ancien de la Cour de Justice de l’Union européenne nous éclaire en partie sur la possibilité de refuser un sous-traitant. Lorsque la sous-traitance est demandée en cours d’exécution d’un marché, le maître de l’ouvrage semble pouvoir (voire devoir) refuser un sous-traitant dont il considère qu’il exécutera une partie essentielle du marché. En effet, lorsque le maître de l’ouvrage a fait son choix de l’offre la plus intéressante, ce choix s’est effectué au vu des éléments transmis par l’entreprise titulaire et ce choix d’origine serait mis en cause si le sous-traitant faisait le travail.
Cour de Justice CEE, C-314/01, Siemens AG Österreich, 18 mars 2004
« Ainsi que l’a relevé à bon droit la Commission des communautés européennes, la directive 92/50 ne s’oppose pas à une interdiction ou à une restriction du recours à la sous-traitance pour l’exécution de parties essentielles du marché lorsque précisément le pouvoir adjudicateur n’a pas été en mesure de vérifier les capacités techniques et économiques des sous-traitants lors de l’examen des offres et de la sélection du soumissionnaire le mieux-disant. »
Un autre arrêt bien plus récent de la Cour de l’Union est encore plus intéressant. Certes, l’arrêt concerne une concession de services mais il nous semble totalement applicable aux marchés publics.
La Cour considère que la modification de la sous-traitance telle qu’elle était prévue dans l’offre de base peut modifier substantiellement les conditions de choix d’origine et que dès lors, une telle modification peut être illégale.
CJUE, C 91/08, 13 avril 2010
« La modification d’un contrat de concession de services en cours de validité peut être considérée comme substantielle lorsqu’elle introduit des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure d’attribution initiale, auraient permis l’admission de soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou auraient permis de retenir une offre autre que celle initialement retenue (voir, par analogie, arrêt Pressetext Achrichtenagentur, précité, point 35).
39. Un changement de sous-traitant, même lorsque la possibilité en est prévue dans le contrat, peut, dans des cas exceptionnels, constituer une telle modification de l’un des éléments essentiels du contrat de concession lorsque le recours à un sous-traitant plutôt qu’à un autre a été, compte tenu des caractéristiques propres de la prestation en cause, un élément déterminant de la conclusion du contrat, ce qu’il appartient en tout état de cause à la juridiction de renvoi de vérifier.
40. La juridiction de renvoi observe que, dans le projet joint à l’offre soumise à la ville de Francfort par FES, cette dernière a indiqué qu’elle utiliserait les « City-WC » de Wall. Selon cette juridiction, il est probable que, dans un tel cas, la concession ait été attribuée à FES en raison de l’identité du soustraitant que cette dernière avait présenté.
41. C’est à la juridiction nationale d’établir si les situations décrites aux points 37 à 39 du présent arrêt se vérifient.
42. Si, dans le cadre de cette appréciation, la juridiction de renvoi devait conclure à l’existence d’une modification de l’un des éléments essentiels du contrat de concession, il y aurait lieu d’accorder, conformément à l’ordre juridique interne de l’État membre concerné, toutes les mesures nécessaires pour rétablir la transparence dans la procédure, y compris une nouvelle procédure d’attribution. Le cas échéant, la nouvelle procédure d’attribution devrait être organisée selon des modalités adaptées aux spécificités de la concession de services en cause et permettre qu’une entreprise située sur le territoire d’un autre État membre puisse avoir accès aux informations adéquates relatives à ladite concession avant que celle-ci ne soit attribuée.
43. Par conséquent, il convient de répondre à la troisième question que, lorsque des modifications apportées aux dispositions d’un contrat de concession de services présentent des caractéristiques substantiellement différentes de celles qui ont justifié l’attribution du contrat de concession initial et sont, en conséquence, de nature à démontrer la volonté des parties de renégocier les termes essentiels de ce contrat, il y a lieu d’accorder, conformément à l’ordre juridique interne de l’État membre concerné, toutes les mesures nécessaires pour rétablir la transparence dans la procédure, y compris une nouvelle procédure d’attribution. Le cas échéant, la nouvelle procédure d’attribution devrait être organisée selon des modalités adaptées aux spécificités de la concession de services en cause et permettre qu’une entreprise située sur le territoire d’un autre État membre puisse avoir accès aux informations adéquates relatives à ladite concession avant que celle-ci ne soit attribuée. »
Cette décision pourrait permettre de lutter contre une pratique assez courante dans le domaine des travaux de bâtiment et d’infrastructure qui consiste à présenter lors de l’offre des sous-traitants « prestigieux» (et donc à un certain niveau de prix) et, une fois retenue, soit réaliser les travaux soi-même, soit les sous-traiter à une autre entreprise moins compétente et donc moins chère.
Par contre, aucune jurisprudence ne permet aujourd’hui d’encadrer la sous-traitance au moment de la remise des offres.
Toutefois, certaines pratiques peuvent permettre de « contrôler » la sous-traitance dès cette remise des offres.
En conclusion, il ne nous paraît pas possible d’interdire la sous-traitance, tant au niveau de la remise des offres qu’en cours d’exécution du chantier. Toutefois et en pratique, certaines règles que pourrait s’imposer un maître de l’ouvrage permettent de « réguler » la sous-traitance.
En dernier lieu, il nous semble qu’un pouvoir adjudicateur pourrait réguler les problématiques de sous-traitance par trois outils distincts :
- Demander aux titulaires un dossier plus complet au niveau de la demande d’acceptation du sous-traitant et d’agrément de ses conditions de paiement ;
- Ne pas accepter systématiquement un sous-traitant présenté en cours d’exécution du marché ;
- Rendre obligatoire qu’un certain nombre de salariés ou « d’encadrants » parlent un français courant.
1 /
Lorsqu’un sous-traitant est présenté par le titulaire, que ce soit au moment de l’offre ou en cours d’exécution, on se rend compte que les maitre de l’ouvrage exigent à titre principal un document « acte spécial de sous-traitance » ainsi que les pièces justificatives prévues par le code des marchés publics qui concernent à titre principal la capacité du sous-traitant et non la valeur de son offre.
Il nous semble que deux correctifs devraient être apportés dans les « DCE » :
- Exiger dans l’acte spécial de sous-traitance que le travail exact que va réaliser le sous-traitant soit défini et préciser que, faute de cette mention, le sous-traitant sera systématiquement refusé. Cette pratique permet de mieux vérifier que le sous-traitant est rémunéré à un prix « correct » qui lui permettra d’effectuer un travail de qualité. En effet et en pratique, le travail exact que devra faire le sous-traitant est souvent très mal défini.
- Exiger à l’appui de la demande d’acceptation et d’agrément des conditions de paiement d’un sous-traitant des éléments concernant son offre. Ainsi et par exemple, si le titulaire doit remettre avec son offre un mémoire technique, ce mémoire technique devrait être exigé du sous-traitant mais uniquement bien sûr pour la part sous-traitée. Cette pratique permet de mieux vérifier que le sous-traitant va mettre en œuvre les moyens humains et matériels nécessaires. Elle permet aussi « d’obliger » le sous-traitant à exiger u niveau de prix en adéquation avec les moyens qu’il propose.
Ces deux pratiques permettent à notre sens :
- De mieux réguler la sous-traitance ;
- D’éviter des « prix trop bas » pour le sous-traitant ;
- De donner un nouveau pouvoir au maître de l’ouvrage dans le cadre de l’acceptation ou non d’un sous-traitant.
2 /
Il faut à notre sens faire savoir au titulaire d’un marché public qu’il ne pourra pas faire « n’importe quoi » avec la sous-traitance en cours d’exécution en se servant des deux arrêts suscités de la Cour de justice.
Un pouvoir adjudicateur pourrait intégrer cette possibilité dans ses contrats et le rappeler dès le règlement de la consultation.
Exemple d’article d’acte d’engagement ou de CCAP
1-X Sous-traitance
Le pouvoir adjudicateur interdit au titulaire du marché de modifier la liste des sous-traitants remis lors de la consultation si ce changement, après la notification du marché, remet en cause les capacités techniques et moyens qui ont été jugés pour l’exécution, capacités qui ont permis d’effectuer le choix de l’offre la plus intéressante.
De même, la proposition d’un sous-traitant pour effectuer un travail dévolu au titulaire dans son offre ne peut remettre en cause le choix de l’offre économiquement la plus intéressante faite au stade de l’analyse des offres.
3 /
L’un des problèmes lié à la sous-traitance est le recours à des sous-traitants étrangers qui ne respectent pas toujours les règles françaises du droit du travail même si ces dernières sont théoriquement obligatoires.
Un moyen permettant de limiter cette pratique serait d’exiger, tant dans le règlement de la consultation que dans les documents contractuels, qu’au minimum un salarié sur trois, qu’il soit salarié d’un titulaire ou d’un sous-traitant parle couramment le français et que l’ensemble des cadres, par exemple le chef de chantier, le parle aussi.
Nous n’avons aujourd’hui aucune jurisprudence ou doctrine permettant de fonder cette possibilité. Toutefois :
- Dans les faits, les fédérations du bâtiment comme des travaux publics « accusent » les maîtres de l’ouvrage « de ne rien faire ».
- Si aucune jurisprudence ne permet de fonder cette pratique, aucune ne l’interdit par ailleurs ;
- En cas de contentieux, il semble que l’on pourrait se fonder sur des critères de « sécurité au travail » (comment faire passer des directives à des personnes qui ne les comprennent pas » pour légitimer une telle obligation.
Au regard du risque juridique, il faudrait toutefois un accord formel des élus qui, il nous semble, auraient un « intérêt politique » important à mettre en œuvre une telle obligation, intérêt qui me paraît bien supérieur à l’inconvénient.
Patrice COSSALTER, Avocat