LA DUREE DE LA SOLIDARITE ENTRE LE BAILLEUR ET LE LOCATAIRE-GERANT DU FONDS COMMERCE
Pendant combien de temps le bailleur d’un fonds de commerce peut être tenu responsable des dettes de son locataire-gérant en raison de la solidarité prévue par l’article L. 144-7 du code de commerce ? Cette question d’apparence simple amène des réponses diverses en fonction de la nature de la créance. Une complexité supplémentaire peut apparaître en cas de liquidation judiciaire du locataire-gérant.
En premier lieu, il convient de rappeler les dispositions de l’article L. 144-7 du code de commerce :
« Jusqu'à la publication du contrat de location-gérance et pendant un délai de six mois à compter de cette publication, le loueur du fonds est solidairement responsable avec le locataire-gérant des dettes contractées par celui-ci à l'occasion de l'exploitation du fonds. »
En vertu de ce texte, le bailleur est donc solidairement responsable des dettes de son locataire-gérant contractées à l’occasion de l’exploitation du fonds de commerce depuis la signature du contrat de location-gérance jusqu’au terme d’un délai de 6 mois à compter de la publication du contrat de location-gérance.
En effet, la jurisprudence sur le fondement du texte précité confirme que, dès lors qu'un contrat de location-gérance n'a pas été publié, le bailleur est solidairement responsable des dettes contractées par le locataire-gérant pour l'exploitation du fonds de commerce sans qu'il y ait lieu de rechercher si le créancier a eu connaissance de la mise en location-gérance de ce fonds (Cour de Cassation, Chambre commerciale, 7 juin 1992).
En second lieu, le délai de six mois n'est pas un délai préfix à l'expiration duquel la responsabilité solidaire du bailleur ne pourrait plus être recherchée, même pour les dettes antérieures à son expiration.
Ainsi, cette responsabilité solidaire peut être invoquée par les créanciers du gérant à n'importe quel moment, même après l'expiration du délai de six mois (En ce sens, voire Cour d’Appel de Montpellier, 18 mars 1982).
A la question posée ci-dessus, il n’y a pas de réponse générale et globale pour toutes les dettes dont pourrait être responsable le bailleur. Pour chaque dette, il conviendra de regarder, outre le fait de savoir si les conditions de la solidarité sont remplies, si cette dernière n’est pas prescrite au moment où le créancier du locataire-gérant fait la demande de règlement au bailleur du fonds de commerce.
A ce sujet, l’article L-110-4 du code de commerce dispose :
« I. — Les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent «cinq» ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ».
A notre sens, pour la majorité des dettes du locataire, le bailleur sera responsable a minima pour une durée de cinq ans correspondant à la prescription de droit commun en matière de contrat commerciale. Néanmoins, il convient de souligner qu’il peut y avoir des délais de prescription particuliers (plus courts ou plus longs) pour chaque type de dettes.
Ainsi, pour chaque créance pouvant bénéficier de la solidarité, il conviendra d’appliquer les règles de prescription qui lui sont applicables.
En troisième lieu, lorsque le locataire est en liquidation, l’une des prescriptions de sa dette est relative à l’absence de déclaration de la créance auprès du représentant des créanciers ou du liquidateur judiciaire.
Le bailleur du fonds de commerce pourrait alors penser à se prévaloir de cette extinction ? La réponse est, à notre sens, négative.
Une Cour d’appel a pu juger que l'article 8 de la loi 20 mars 1956 [aujourd’hui l’article L. 144-7 du code de commerce] n'impose pas au créancier de déclarer sa créance auprès du liquidateur judiciaire des biens du locataire avant d'agir contre le loueur du fonds. Selon la Cour, une absence de production ne saurait s'analyser comme une renonciation à la créance alors que le créancier dispose d'un recours direct contre le débiteur solidaire (Cour d'appel REIMS, Chambre civile section 1, 17 Octobre 1984).
Ainsi, concernant les dettes non déclarées auprès du liquidateur, deux interprétations semblent pouvoir être défendues :
- soit, il est considéré que les créances qui n’ont pas été déclarées auprès du liquidateur et par suite qui se sont éteintes ne peuvent plus être réclamées au bailleur du fonds de commerce. Dans cette solution le régime de la dette à l’égard du locataire vaut à l’égard du bailleur.
- soit, il est considéré que l’absence de déclaration ne vaut pas renonciation à la créance et que dès lors, un créancier qui n’aurait pas déclaré sa créance auprès du liquidateur pourrait tout de même agir contre le bailleur.
Pour l’heure, force est de constater que la jurisprudence tend à faire application de la seconde interprétation comme le prouve sans contestation possible l’arrêt de la Cour d’appel de LYON ci-dessous :
« Attendu qu'il est constant que par contrat du 29 juin 2001, Thierry Y... a donné en location- gérance à Cyril A... un fonds de commerce de boulangerie pâtisserie à Saint- Étienne, cet acte ayant été publié le 3 août 2001 ; que la résiliation du contrat de location- gérance a par ailleurs été constatée par une ordonnance de référé du 30 avril 2002 ;
Que la société ETABLISSEMENTS AUDOUARD, fournisseur de Cyrille A..., comme précédemment de Thierry Y..., a mis le premier en demeure de régulariser son compte par lettre du 12 mars 2002 ; que son débiteur ne s'est pas acquitté des sommes dues et qu'il a fait l'objet d'une liquidation judiciaire au terme d'une procédure ouverte à son encontre le 5 juin 2002 ; que l'appelante ne conteste pas son défaut de production de sa créance auprès du représentant des créanciers ;
Attendu toutefois, en premier lieu, que l'article L. 144- 7 du code de commerce édicte à la charge du loueur du fonds donné en location- gérance une solidarité de plein droit avec le locataire gérant pour les dettes contractées par celui- ci à l'occasion de l'exploitation du fonds, pendant un délai de six mois de la publication du contrat ; que par suite l'obligation du propriétaire du fonds est ainsi distincte de celle de l'exploitant et ne peut être éteinte par application de l'article L. 621- 46 alinéa 4 du code de commerce en cas de défaut de déclaration de la part du créancier ; que contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le défaut de déclaration de créance de la société ETABLISSEMENTS AUDOUARD à la liquidation judiciaire de Cyrille A... est donc indifférente ; » (Cour d'appel de Lyon chambre civile 3, jeudi 3 novembre 2005, N° de RG: 04/02806 ).
Il résulte de ce qui précède que le propriétaire du fonds de commerce serait également responsable des créances qui n’ont pas étaient déclarées auprès des organes de la procédure collective.
En quatrième lieu, il convient de relever le cas particulier des créances fiscales relatives à des impôts directs.
A l’égard de l’administration fiscale, le loueur est tenu des dettes fiscales du locataire-gérant, et ce pendant toute la durée de la location-gérance. En effet, l’Article 1684 du code général des impôts dispose :
« 3. Le propriétaire d'un fonds de commerce est solidairement responsable avec l'exploitant de cette entreprise, des impôts directs établis à raison de l'exploitation de ce fonds ».
Pour mémoire, la différence entre les impôts directs et indirects réside dans la distinction entre contribuable et redevable. Les impôtsdirects (IS, IR, Taxe d’habitation) sont payés et supportés par la même personne. Cette dernière étant à la fois contribuable et redevable. En revanche, avec les impôts indirects (ex. TVA), le redevable est distinct du contribuable.
Enfin, en ce qui concerne la prescription des dettes fiscales, il y a lieu distinguer entre deux prescriptions.
1/ Le délai de prescription de l’action en répétition (prescription d’assiette).
Il correspond au délai pendant lequel l’administration peut établir ou constater l’existence d’une dette fiscale constituée par l’impôt en principal et éventuellement une imposition complémentaire ou des pénalités fiscales. Cette prescription est en principe régie par l’article L186 du LPF (livre des Procédures Fiscales) qui dispose :
« Lorsqu'il n'est pas expressément prévu de délai de prescription plus court ou plus long, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la sixième année suivant celle du fait générateur de l'impôt ».
Cette prescription sexennale est en la matière la prescription de droit commun. En réalité, elle ne s'applique qu'en matière d'impôt de solidarité sur la fortune, de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière, de droits de timbre, ainsi que de taxes, redevances et impositions assimilées ou recouvrées suivant les mêmes modalités.
En revanche, la prescription triennale prévue au 1er alinéa des articles L169 du LPF et L176 du LPF et à l'article L180 du LPF a une portée plus générale et peut concerner notamment l’impôt sur les sociétés.
Toutefois, il existe de nombreuses dispositions permettant d’avoir un délai plus long (prescription à dix ans par exemple) ou de suspendre et d’interrompre le délai de prescription.
2/ Le délai de prescription de l’action en recouvrement
Il correspond au délai pendant lequel le créancier peut poursuivre le recouvrement forcé de ses impositions ou pénalités. C'est cette prescription est régie par l’article L274 du LPF (livre des Procédures Fiscales) qui dispose :
« Les comptables publics des administrations fiscales qui n'ont fait aucune poursuite contre un redevable pendant quatre années consécutives à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l'envoi de l'avis de mise en recouvrement sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable ».
Toutefois, il existe de nombreuses dispositions dérogeant à ce délai et/ou permettant de suspendre ou d’interrompre le délai de prescription.
En conclusion, le bailleur du fonds de commerce doit être extrêmement vigilant à l’égard de son locataire-gérant.
En effet, il est non seulement responsable solidairement des créances contractées par son locataire-gérant pendant une durée de 6 mois à compter de la publication du contrat de location gérance, voire pendant toute la durée de la location pour les dettes fiscales, mais en plus il ne bénéficie pas de la possibilité de se prévaloir de toutes les causes d’extinction des dettes de son locataire-gérant.
Mehdi ABBADI, Avocat LEGITIMA