Avocat pénal: Le Parquet n'est jamais dépaysé !

Est-il possible de demander le dépaysement d’une affaire entre les mains du parquet ? La réponse apportée par la jurisprudence est clairement négative. Pourtant, on gagnerait à faire évoluer ce point de droit pour une meilleure garantie au procès équitable.

En principe, en matière civile, la compétence territoriale se détermine par le lieu de résidence du défendeur ou, en matière pénale, par le lieu de commission de l’infraction. Ceci sans préjudice des dispositions contraires.

 

Le dépaysement d’une affaire consiste concrètement à en transférer l’instruction d’une juridiction territorialement compétente à une autre juridiction qui serait, en temps normale, considérée comme incompétente en application des principes du code de procédure civile ou pénale.

Le dépaysement intervient lorsque l’impartialité de la juridiction, quelle qu’en soit la formation, peut être mise en cause pour une raison relative à la situation personnelle ou fonctionnelle de ladite juridiction.

La règle demeure cependant inapplicable lorsque l’affaire est encore entre les mains du parquet car ce dernier n’est pas considéré comme une juridiction (I). Cette circonstance s’inscrit, à notre avis, dans l’éternel débat de savoir si oui ou non le parquet à la française est conforme aux prescriptions de l’article 6 de la CEDH garantissant un procès équitable (II).

 

  • L’impossible renvoi d’une affaire d’un parquet à un autre :

 

Le code de procédure pénale prévoit, en ses articles 662 à 667-1, un certain nombre de procédures permettant de dessaisir une juridiction territorialement compétente au profit d’une autre juridiction de même ordre et de même degré.

Ces textes trouvent leur principale motivation dans la garantie d’une transparence et impartialité maximum dans le déroulement d’une affaire pénale.

Dès lors, lorsque des circonstances sont de nature à faire naître un doute quant à l’impartialité de la juridiction saisie, le droit positif a aménagé la possibilité de demander à ce qu’une autre juridiction puisse intervenir en lieu et place de la juridiction originellement compétente.

Tel est le cas lorsque plane une suspicion légitime sur la juridiction de céans. La suspicion légitime est une notion large dont l’élément constitutif réside dans la partialité de la juridiction qui se dégage des circonstances de fait. L’exemple le plus parlant serait par exemple le lien de parenté entre un juge et un prévenu.

C’est la raison pour laquelle le législateur a adopté le texte suivant (article 662 du code de procédure pénale) :

« En matière criminelle, correctionnelle ou de police, la chambre criminelle de la Cour de cassation peut dessaisir toute juridiction d'instruction ou de jugement et renvoyer la connaissance de l'affaire à une autre juridiction du même ordre pour cause de suspicion légitime.

La requête aux fins de renvoi peut être présentée soit par le procureur général près la Cour de cassation, soit par le ministère public établi près la juridiction saisie, soit par les parties.

(…) ».

Les juridictions visées par ce texte sont principalement les juridictions d’instruction (juge d’instruction) ou de jugement, la juridiction de l’application des peines, les juridictions militaires ou encore la cour de justice de la République.

La question s’est posée de savoir si le texte ci-avant s’appliquait au ministère public.

La réponse est catégoriquement négative dès lors qu’il semble acquis que le ministère public n’est pas une juridiction.

En aucun cas donc le magistrat du ministère public ne peut se voir dessaisir au profit d’un magistrat d’un autre ministère public (Cour de cassation, chambre criminelle, 7 avril 1976, publiée au bulletin criminel 1976 n°107).

Il a en effet été rappelé que “contrairement aux magistrats du siège composant la juridiction, le ministère public ne décide pas du bien-fondé d'une accusation en matière pénale” (Cour de cassation, chambre criminelle, 24 novembre 2004, N°04-80.509).

Le parquet serait donc au-dessus de toute suspicion légitime.

Cette position nous semble critiquable à plusieurs titres.

Quand bien même le parquet ne serait pas une juridiction de jugement et que son rôle consiste principalement à agir pour le compte de l’intérêt général et à défendre les valeurs communes à la société dans son ensemble, les prérogatives dont bénéficie le ministère public au cours de l’instruction préparatoire seraient de nature à légitimer un dépaysement d’une affaire entre ses mains pour cause de suspicion légitime, afin de garantir l’effectivité du droit à un procès équitable.

 

  • Les conséquences quant à la garantie au procès équitable :

 

Il parait utile, dans un premier temps, de rappeler les critiques dirigées à l’égard de l’institution du ministère public, et notamment celles qui ont abouti à une condamnation de celle-ci par la Cour européenne des droits de l’Homme.

Ainsi, les droits de la défense d’un citoyen impliqué dans une enquête à un stade quelconque souffrent de manquements non négligeables.

Par exemple, le secret qui entoure une enquête est particulièrement bien gardé, et une personne impliquée n’est jamais correctement informée de la teneur des évènements. Ne sachant pas à quoi s’en tenir, ses moyens de défense se voient inévitablement affaiblis.

Rappelons tout de même que jusqu’à très récemment (trois ans précisément), le gardé à vue n’avait pas le droit d’être assisté d’un avocat lors de son interrogatoire. Bien plus encore, à l’heure actuelle, l’avocat finalement autorisé à assister son client, n’a pas accès à l’entier dossier de ce dernier. On peut légitimement se demander où réside l’intérêt d’une présence d’un avocat lorsque celui-ci n’est pas en mesure de faire le travail pour lequel on l’a mandaté.

Dans son arrêt Moulin c France, du 23 novembre 2010, qui a fait grand bruit, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France en matière de privation de liberté par le seul parquet. Les magistrats de Strasbourg ont estimé que le ministère public français ne pouvait être considéré comme une autorité judiciaire indépendante répondant aux exigences de l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Dès lors, les privations de libertés en matière de garde à vue particulièrement dont dispose le ministère public, échappaient au contrôle d’une autorité judiciaire indépendante, ce qui les rendait illégales.

Ce ne sont là que quelques éléments qui permettent de mettre en lumière les grandes difficultés dans lesquelles peuvent se retrouver des personnes ayant à faire, de près ou de loin, à la justice pénale.

Mais surtout, ces exemples illustrent deux choses : d’une part, le parquet est une institution dépendante du pouvoir exécutif, d’autre part et pour autant, cette institution bénéficie de prérogatives non négligeables dans la conduite d’une enquête, avec entre autres le pouvoir d’apprécier l’opportunité des poursuites. Le procureur de la République est le seul à décider de la poursuite d’une affaire (et donc d’une ou plusieurs personnes) ou du classement sans suites, sauf à saisir directement le juge d’instruction.

Concernant la faculté de dépaysement, on pourrait donc penser que la cohérence est au rendez-vous : le procureur de la République n’est pas un magistrat indépendant, il ne peut exercer des fonctions judiciaires, il est donc logique de ne pas lui faire application de l’article 662 du code de procédure pénale qui prévoit le dépaysement d’une affaire en cas de suspicion légitime à l’encontre d’une juridiction.

Toutefois, le problème posé par la possibilité de suspicion à l’endroit de l’institution du ministère public demeure entier.

Avant que le dossier n’atterrisse sur le bureau d’un magistrat du siège (entendre magistrat indépendant), en général un magistrat chargé de l’instruction, l’affaire aura été menée et instruite par un magistrat non indépendant bénéficiant d’un certain nombre de pouvoirs significatifs attentatoires aux libertés fondamentales.

S’agissant de la question du dépaysement, force est de constater qu’il est possible qu’un membre du ministère public se trouve en situation de conflit d’intérêts dans une affaire en cours.

Le seul fait que le ministère public ne soit pas considéré comme une juridiction à part entière ne suffit pas à écarter toute possibilité de suspicion légitime à son encontre et alors, il serait pour le moins juste et équitable d’envisager un renvoi de l’affaire vers un nouveau parquet.

Que l’on ne fasse pas application de l’article 662 du code de procédure pénale soit, mais il est nécessaire et urgent de prévoir un mécanisme permettant de garantir l’impartialité de ce magistrat dépendant qui accomplit la première étape de l’instruction, à fin que les droits de la défense qui composent le droit au procès équitable (garanti par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales) soient réellement effectifs.

Les contestations souvent exprimées à l’encontre du Ministère public le sont en particulier en raison des liens hiérarchiques avec le pouvoir exécutif, en particulier le ministère de la Justice, mais les liens officieux, bien que rares, ne doivent pas être occultés. L’affaire Bettencourt nous en a donné un exemple un assez significatif. Si le procureur de la République Courroye s’est défendu de tout conflit d’intérêt avec l’ancien Président Nicolas Sarkozy, des suspicions ont vu le jour mais aucune disposition ne permettait d’envisager le dépaysement de l’affaire dans les mains dudit procureur. Ce n’est qu’une fois que le dossier a été repris par les juges d’instruction qu’un dépaysement a été possible (vers le tribunal de grande instance de Bordeaux).

Il n’est pas/plus raisonnable de considérer le parquet comme étant au-dessus de toute suspicion légitime.

 

Kahina MERABET, Cabinet d’Avocats LEGITIMA.

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