Avocat droit civil : La demande indéterminée en procédure civile

L’objectif visant à réduire l’encombrement des juridictions en fixant le taux de ressort à 4000€ pour permettre l’appel, se trouve fragilisé par l’approche de la notion de demande indéterminée adoptée par la cour de cassation.

Le droit d’accès au juge constitue un principe fondamental protégé notamment par la Convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentaux. Ce droit implique le respect d’un certain nombre de principes, notamment celui des droits de la défense, de l’exigence de délais raisonnables, ou encore le droit à un double degré de juridiction.

                                                                                           

Le double degré de juridiction se traduit, concrètement, par l’idée qu’un justiciable a le droit de faire examiner sa demande par un juge de première instance et, en cas de besoin, de faire appel de la première décision, en l’occurrence, devant le juge du second degré de droit commun, le juge près la cour d’appel.

Ainsi, l’article 543 du code de procédure civile dispose : « La voie de l'appel est ouverte en toutes matières, même gracieuses, contre les jugements de première instance s'il n'en est autrement disposé ».

De même, l’article 40 du code de procédure civile précise : « Le jugement qui statue sur une demande indéterminée est, sauf disposition contraire, susceptible d'appel ».

 

Une demande indéterminée est une demande qui, soit n’est pas chiffrée du fait du demandeur, soit, selon la jurisprudence, qui vise une prétention impossible à chiffrer. C’est le cas, par exemple, d’une demande de résolution ou d’annulation d’un contrat.

A première vue, une demande indéterminée soumise à un juge de première instance fait l’objet d’une décision susceptible d’appel.

Ce principe connait cependant quelques entorses qui, précision nécessaire, ne sont pas de nature à violer les textes, en particulier la Convention européennes des droits de l’Homme.

Si le praticien du contentieux judiciaire doit, en principe, maitriser les règles élémentaires en matière de procédure, il arrive qu’il soit surpris par une potentielle irrecevabilité en appel pour taux de ressort insuffisant. L’effet de surprise est d’autant plus marquant lorsque le juge de première instance aura explicitement disposé que le jugement est susceptible d’appel.

Ainsi, une demande indéterminée ayant fait l’objet d’un jugement rendu par un tribunal d’instance, peut se voir opposer l’irrecevabilité en appel dès lors qu’il est fait application de l’article R221-4 du code de l’organisation judiciaire (COJ) selon lequel : « Le tribunal d'instance connaît des actions mentionnées à l'article L. 221-4.

Toutefois, lorsqu'il est appelé à connaître, en matière civile, d'une action personnelle ou mobilière portant sur une demande dont le montant est inférieur ou égal à la somme de 4 000 euros ou sur une demande indéterminée qui a pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant est inférieur ou égal à cette somme, le tribunal d'instance statue en dernier ressort ».

Ce texte nous précise donc qu’un jugement de première instance rendue dans le cadre d’un différend dont l’enjeu financier est égal ou inférieur à 4000€ n’est pas susceptible d’appel.

Autrement dit, le montant de 4000€ fixe le taux de ressort.

Lorsque l’enjeu est supérieur à 4000€, le jugement est rendu en premier ressort, en d’autres termes, l’appel est ouvert.

Lorsque l’enjeu est égal ou inférieur à 4000€, le jugement est rendu en dernier ressort, en d’autres termes, et l’appel n’est, en principe, pas possible.

Les choses sont en réalité plus complexes que cela peut paraitre.

La demande indéterminée est, par essence, sujette à discussion tant il n’est pas aisé d’en appréhender la notion(I). Partant, l’application de l’article R221-4 du code de l’organisation judiciaire, doit, à la lumière de la jurisprudence, s’accommoder de considérations supplémentaires pour trouver à s’appliquer pleinement (II).

 

  • LA DELICATE APPREHENSION DE LA NOTION DE DEMANDE INDETERMINEE:

Comme précisé plus avant, tout jugement ou toute décision juridictionnelle rendue en première instance est, par principe, susceptible d’appel.

Un litige qui fait l’objet de l’intervention d’un juge en première instance est de nature à se poursuivre devant le juge d’appel, sauf dispositions contraires.

Ainsi, par exemple, le recours n’est pas possible à l’égard des mesures d’administration judiciaire conformément à l’article 537 du code de procédure civile, puisqu’il s’agit de mesures relatives au fonctionnement de la juridiction saisie, et non de mesures qui se rattachent à la fonction contentieuse ou gracieuse de la juridiction.

Mais pour en revenir à notre problématique, le principe général du droit d’appel connait une exception liée au faible montant de la demande.

C’est donc le taux de ressort qui va déterminer si oui ou non l’appel est possible.

Ce taux de ressort a été définitivement fixé par la loi du 9 décembre 2004, et il a été arrêté à la somme de 4000€.

Lorsque la somme en jeu est inférieure à 4000€, l’appel n’est donc pas possible, et seul un pourvoi en cassation reste ouvert en tant que voie de recours extraordinaire.

Parallèlement, d’autres dispositions peuvent déstabiliser le principe posé par le taux de ressort en tant que modérateur de recours devant la cour d’appel.

L’article 40 du code de procédure civile précise en effet que « Le jugement qui statue sur une demande indéterminée est, sauf disposition contraire, susceptible d'appel ».

La demande indéterminée peut être appréhendée de deux façons.

Sur le plan numéraire, la demande est considérée comme indéterminée dès lors que le montant de la demande n’est pas chiffré.

Le demandeur qui interpelle le juge sur un litige dont l’enjeu n’est pas financièrement chiffré se verra bénéficier d’un jugement dont la demande est indéterminée. Cependant, si ce même demandeur fournit des éléments permettant au juge d’évaluer le montant en jeu, la demande sera jugée déterminée, et le taux de ressort en sera fixé.

Par contre, sur un plan purement théorique, il a été jugé par la cour de cassation que lorsque la demande tend à obtenir l’annulation ou la résolution d’un contrat, celle-ci est « par nature indéterminée » (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 7 février 1995, n°92-17.894). En d’autres termes, peu important la valeur du litige, que celle-ci soit supérieure ou inférieure à 4000€, l’appel reste ouvert dès lors qu’il y a lieu de se prononcer sur le sort d’un contrat.

Comme ont pu le remarquer les auteurs J. Héron et T. Le Bars, « en soi, l’annulation ou la résolution de ce contrat n’a pas de valeur monétaire » (J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, 5ème édition, « Domat droit privé », Montchrestien, 2012, n°727, p589).

Partant, il suffit qu’un litige porte sur la validité d’un contrat pour que la demande soit considérée comme indéterminée, et que l’appel soit ouvert sans considération aucune des montants en jeu.

Si l’on considère qu’en droit civil, hormis les cas bien précis relatifs à des matières singulières tel l’état des personnes par exemple, la grande majorité des litiges trouve son origine dans la validité d’un contrat, il apparait alors assez difficile de considérer le taux de ressort comme un principe incontournable de la procédure d’appel.

Doit-on rappeler que le droit, dans son ensemble, repose sur les jalons posés par les principes du droit des obligations ?

Que l’obligation naît d’un écrit ou d’un engagement verbal, elle définit, encadre et protège les relations habituellement et quotidiennement nouées par les justiciables.

Droit commercial, droit de la consommation, droit de la construction, droit du travail, droit des régimes matrimoniaux, droit successoral, droit des biens, droit de la propriété industrielle et/ou intellectuelle, droit de la distribution, de la concurrence, droit bancaire, droit du transport,…etc, tous sans exception, ont vocation à connaitre de litiges nés d’un contrat et de sa validité.

Dès lors, le contenu de l’article R221-4 du COJ qui fixe le taux de ressort à 4000€, que la demande soit déterminée ou non, doit être relativisé eu égard à la position de la jurisprudence dans son approche de la notion de demande indéterminée.

 

 

  • LA FRAGILE APPLICATION DE L’ARTICLE R221-4 DU COJ :

La lecture de l’article R221-4 du code de l’organisation judiciaire devrait laisser entrevoir une réduction non négligeable d’appels interjetés contre des décisions de première instance.

La démarche n’est, en soi, pas contestable dès lors qu’il est admis que l’encombrement considérable des juridictions nécessite d’établir des filtres permettant justement d’endiguer ce phénomène, tout ceci avec beaucoup de précautions dans la mesure où l’on touche à un droit fondamental qui est celui de l’accès au juge, et son corollaire à savoir le droit d’appel.

Le taux de ressort a été pensé en ce sens. Il a été considéré que les litiges d’une faible importance pécuniaire (en l’occurrence moins de 4000€) pouvaient être limités à l’introduction d’une action en première instance, sans préjudice d’un éventuel pourvoi en cassation formé dans les délais.

Une fois le principe posé et admis, reste la teneur de ce texte modérateur dont la portée parait significativement limitée par la jurisprudence.

En premier lieu, des précisions relativement à la fixation de la valeur du litige s’imposent dès lors que la suite procédurale en dépend.

Pour déterminer si un jugement a été rendu ou non en dernier ressort, il y a lieu de se référer à la valeur du litige telle qu’elle résulte des dernières écritures communiquées par le concluant. C’est donc la valeur de la demande qu’il faut prendre en considération (Civile, 26 juillet 1882, DP 1883. 1.342.), et non celle sur laquelle le juge a statué.

Par ailleurs, la cour de cassation a, dans un arrêt du 27 juin 2013, (cour de cassation, 2ème chambre civile, n° 12-20.841), considéré que « la valeur totale de ces prétentions excédant, en raison de leur connexité, le taux de compétence en dernier ressort du tribunal d'instance, le jugement, inexactement qualifié de décision rendue en dernier ressort, est susceptible d'appel. Les demandes en remboursement des frais engagés pour l'installation d'un élévateur de baignoire et de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et du trouble de jouissance consécutifs aux dysfonctionnements de cet appareil sont en effet connexes ».

En d’autres termes, il y a lieu d’additionner le montant des différentes prétentions exprimées devant le juge de première instance pour déterminer précisément le taux de ressort.

Il est, par conséquent, possible d’en déduire qu’il suffit qu’une prétention seulement ne soit pas chiffrée pour en conclure que la demande est indéterminée.

Mieux encore, quand bien même la valeur de la demande principale serait inférieure à 4000€, si des demandes connexes visent à obtenir des dommages et intérêts, et/ou la prise en charge des frais inhérents aux conséquences de la demande principale, les chances ou les risques (tout dépend de quel côté de la barre on se place) que le taux de ressort dépasse les 4000€ sont considérables.

Partant, l’objectif visant à limiter la saisine des cours d’appel est sans nul doute fragilisé.

Plus problématique est la question relative à la demande indéterminée en tant que telle.

Pour rappel, la demande tendant à la résolution ou à l’annulation d’un contrat est, par nature, indéterminée quelle qu’en soit la valeur du litige (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 7 février 1995, n°92-17.894).

Qui plus est, « Toute demande tendant à la condamnation du défendeur à l'exécution d'une obligation de faire constitue en elle-même une demande indéterminée.

(En l’espèce)Pour déclarer un appel irrecevable, une cour d'appel avait retenu que, devant le tribunal, le demandeur avait oralement évalué à 1 € le montant de l'obligation dont l'exécution était réclamée et que, dès lors que l'exécution de l'obligation sollicitée, demande indéterminée, avait pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant était inférieur à 4 000 €, c'est à juste titre que le tribunal avait qualifié sa décision de rendue en dernier ressort.

En statuant ainsi, alors que la demande formée tendait à imposer au défendeur une obligation de faire, et revêtait ainsi un caractère indéterminé, la cour d'appel a violé l'article 40 du code de procédure civile, ensemble l'article R. 221-3 du code de l'organisation judiciaire » (Cour de cassation, 2ème chambre civile, 06 juin 2013, n° 12-20.062).

Il n’est dès lors plus question de fragiliser l’objectif de désencombrement des juridictions, mais purement et simplement de rendre inopérant le moyen d’y parvenir.

En effet, en combinant la position de la cour de cassation ci-avant relatée avec le constat que dans la majorité des cas il s’agit de discuter de la validité d’un contrat devant le juge de première instance, l’article R221-4 du COJ est, pour le moins, vidé de son sens.

Les cas dans lesquels l’article R221-4 du COJ trouvera à s’appliquer se réduisent comme peau de chagrin.

Dans ces conditions, pour entrevoir une issue salvatrice, soit il ne sera pas question de discuter de la validité d’un contrat, ce qui est statistiquement peu fréquent en droit civil, soit le justiciable lui-même, insatisfait de la décision du juge de première instance, fera preuve de fairplay, et ne tentera pas l’appel eu égard à la somme en jeu.

S’en remettre au bon sens du justiciable parait hasardeux en ces temps de judiciarisation à outrance, et relève de la gageure lorsque le requérant déclare, à tout va, mais solennellement : « c’est une question de principe ! ».

 

Kahina MERABET, Cabinet d’avocats LEGITIMA

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