Que l’administration veuille modifier ou compléter un contrat, il semblait n’exister qu’une seule solution contractuelle : l’avenant. Le marché dit « complémentaire » introduit par le droit européen change la donne.
LE MARCHE COMPLEMENTAIRE
Le terme de marché complémentaire n’existe pas dans les textes, il est une « invention » de la pratique. En droit, on devrait plutôt parler de « procédure négociée pour conclure un marché sans mise en concurrence pour compléter un marché existant ».
L’administration peut avoir à conclure un marché dont la spécificité est de compléter un marché existant.
Le principe est qu’un tel marché doit être conclu à la suite d’une mise en concurrence. Toutefois, si un certain nombre de conditions sont remplis, cette mise en concurrence n’est pas obligatoire est l’administration peut négocier directement avec une entreprise.
Quatre conditions sont indispensables pour conclure un tel marché sans mise en concurrence.
En premier lieu, le marché ne peut être conclu qu’avec l’entreprise qui réalise « le marché de base », le marché que l’on veut compléter. Cette condition n’est pas très difficile à respecter.
En second lieu, les prestations achetées en complément ne doivent pas atteindre 50 % du montant du marché à compléter. Les praticiens diront que ce pourcentage est « une bonne poire pour la soif », surtout lorsque l’on sait qu’aujourd’hui les avenants posent problème dès qu’un seuil de 15 % est atteint.
En troisième lieu, une condition alternative doit exister :
- Soit l’administration peut démontrer que les prestations en complément sont indispensables à la bonne finition du chantier (ou de la prestation de service en maîtrise d’œuvre),
- soit l’administration peut démontrer qu’une mise en concurrence pour « acheter ces prestations complémentaires » poserait des problèmes techniques ou économiques.
En dernier lieu, les prestations supplémentaires doivent être complètement imprévisibles, en d’autres termes, elles devaient ne pas être détectables lors de la passation du marché de base.
C’est cette dernière conditions qui pose le plus souvent problème, il n’est pas rare que l’on confonde des prestation imprévisibles et … des prestations que l’on n’a pas prévu. Il ne s’agit pas uniquement de sémantique, le but du marché complémentaire n’est pas de permettre à l’administration de « rattraper » des oublis lors de la définition de son besoin.
MARCHE COMPLEMENTAIRE ET AVENANT
De manière classique, les administrations utilisaient l’avenant pour modifier un contrat, par exemple ajouter une prestation indispensable mais non prévue par le marché de base comme pour le modifier, par exemple remplacer la plantation de platanes prévue au marché par des tilleuls.
Cette pratique devrait disparaître peu à peu, en tout état de cause les organes de contrôle et notamment les préfectures commencent à déférer des « avenants » qu’elles considèrent comme des marchés complémentaires.
Il faudra donc distinguer peu à peu ce qui relève de la modification et qui ne peut relever que de l’avenant si par ailleurs ce dernier ne bouleverse pas l’économie du marché (sauf en cas de sujétions techniques imprévues) et ce qui relève du marché complémentaires si par ailleurs ce dernier reste inférieur à 50 % du marché d’origine et que les autres conditions sont remplies.
Lorsque l’administration veut « acheter » des prestations qui ne sont pas compris dans le marché de base, elle a donc deux solutions :
- la solution simple et rapide de conclure un marché complémentaire sans mise en concurrence avec le titulaire du marché de base, si toutes les conditions sont remplies et notamment le fait que ces prestations n’étaient pas prévisibles à la conclusion du marché de base.
- La solution plus lourde et surtout moins rapide d’un nouveau marché conclu à la suite d’une mise en concurrence si l’ensemble des conditions permettant de conclure un marché sans mise en concurrence n’est pas remplie.
Bien entendu, sur un même chantier et pour une même entreprise, rien n’interdit de conclure un ou plusieurs avenants et un ou plusieurs marchés complémentaires si, comme toujours, les conditions permettant de les conclure sont remplies.
LA PRATIQUE DU MARCHE COMPLEMENTAIRE
Le droit est très simple, un avenant ne peut servir, sous certaines conditions, qu’à modifier un marché, un marché complémentaire ne peut servir qu’à le compléter.
Bien entendu et comme toujours, on commence à voir des pratiques qui ne sont pas totalement, c’est le moins que l’on ne puisse dire, dans la lettre et l’esprit des textes.
D’abord, les praticiens se sont vite rendus compte que les avenants qui dépassent 15 % (ce seuil n’est prévu par aucun texte ni jurisprudence mais la pratique le considère comme le seuil de « bouleversement » de l’économie d’un marché) ont de plus en plus de mal à passer.
Il est donc « tentant » de déguiser un avenant en marché complémentaire puisque, pour cet outil, le seuil est de 50 %.
On voit donc une dérive qui constitue à conclure des avenants, sans réfléchir à la problématique de la modification ou du complément au contrat tant que l’on reste en dessous de 15 % et à conclure des marchés complémentaires sans mise en concurrence dès que ce seuil est dépassé, là aussi sans se préoccuper du fait que ce nouveau contrat modifie ou complète le marché initial. Tout est question uniquement d’une problématique de « pourcentage ».
Par ailleurs, les mêmes praticiens savent que les contrôles sont uniquement des contrôles sur pièces et non sur place. Il est donc aisé de travestir la réalité, notamment en rendant « imprévisibles » des prestations qui ont été beaucoup plus simplement « non prévues ».
Il faut rappeler encore et encore que le marché complémentaire (comme l’avenant) n’ont pas pour rôle de permettre le « rattrapage » d’un maître de l’ouvrage ou d’un maître d’œuvre qui a oublié des prestations…
Patrice COSSALTER, Avocat à la Cour, Cabinet d’Avocats LEGITIMA, Lyon