On parle beaucoup des fautes contractuelles des entreprises ou du maître d’œuvre en marchés publics. Le maître de l’ouvrage peut aussi commettre des fautes et il doit alors indemniser son cocontractant.
Le principe du contrat
Le Code civil nous dit mais le principe s’applique aussi en droit administratif que « le contrat est la loi des parties ».
Un contrat est donc une sorte de « loi » mais qui ne s’applique qu’aux seuls cocontractants (les parties au contrat).
Si l’un des cocontractants ne respecte pas la loi à laquelle il s’est soumise, il doit alors payer des dommages et intérêts si trois conditions sont remplies :
- Il ne doit pas y avoir de doute sur le fait que le contrat a été méconnu, c’est ce que l’on appelle la faute contractuelle ;
- Il faut que cette faute entraîne un préjudice sachant que le juge administratif n’indemnise que le préjudice certain ;
- Il faut enfin qu’il existe un lien de causalité entre la faute et le préjudice, soit, en bon français, que l’on puisse démontrer que le préjudice est bien la conséquence de la faute commise.
Si ces trois conditions sont réunies, les entreprises comme les maîtres d’œuvre peuvent aller rechercher la responsabilité contractuelle du maître de l’ouvrage.
Les fautes du maître de l’ouvrage
Toute méconnaissance d’une clause contractuelle est juridiquement une faute.
Ainsi, dans un marché relatif à la réalisation d’un golf, un maître de l’ouvrage devait contractuellement mettre à la disposition de l’entreprise l’eau nécessaire lors de la plantation du gazon. Pour moult raisons, le maître de l’ouvrage n’a pu remplir cette obligation. La faute est donc patente. Si cette faute entraîne un préjudice (dans le cas de l’espèce une mauvaise levée du gazon ayant rendu obligatoire de ressemer certaines parties), le maître de l’ouvrage doit indemniser l’entreprise de son entier préjudice.
La faute du maître de l’ouvrage est le plus souvent fondée sur un manquement à une clause contractuelle, elle peut aussi être fondée par des éléments antérieurs à la mise en concurrence.
Ainsi, commet une faute, un maître de l’ouvrage qui ne remettrait pas aux entreprises mises en concurrence l’ensemble des éléments qui sont en sa possession.
Dès lors qu’un maitre de l’ouvrage commet une faute, il doit indemniser ses cocontractants des conséquences de cette dernière. Le principe est simple, sa mise en œuvre plus compliquée.
Ainsi, il ne suffit pas d’avancer que le maître de l’ouvrage a commis une faute, faut-il le prouver, le demandeur ayant la charge de la preuve.
De même, de nombreux litiges portent sur l’interprétation du contrat, contrat qui n’est pas toujours clair. Une clause peut ainsi être considérée comme donnant une obligation au maître de l’ouvrage mais, lue autrement, on peut considérer que le maître de l’ouvrage n’avait que la possibilité de faire une action déterminée et non une obligation.
La position du juge
Dès lors qu’un maitre de l’ouvrage commet une faute, il doit indemniser le préjudice lié à cette dernière.
On a souvent en tête que le préjudice n’est dû que s’il entraîne un bouleversement de l’économie du marché. Ce principe est vrai lorsque le préjudice est lié à des sujétions techniques imprévisibles. Au contraire, dans le cadre de la faute du maître de l’ouvrage, le préjudice doit être pris en compte « dès le premier euro ».
La jurisprudence sur l’indemnisation fondée sur une faute du maître de l’ouvrage est relativement abondante. On peut citer un arrêt du Conseil d'Etat, n° 56690, 12 octobre 1988 qui relève qu’un maître de l’ouvrage commet une fautedans l'exercice de son pouvoir de contrôle et de direction du marché de nature à engager sa responsabilité en n’obligeant pas certaines entreprises à communiquer aux autres les réservations qui étaient nécessaires pour la bonne réalisation de l’ouvrage. La Haute juridiction a aussi rappelé que « le fait que le marché ait été conclu à prix forfaitaire ne fait pas obstacle à ce que la société demande réparation des conséquences préjudiciables résultant de ce manquement du maître d'ouvrage à ses obligations ».
Un autre arrêt plus récent de la Haute juridiction administrative (Conseil d'État, n° 357016, 4 février 2013) rappelle que, en cas de faute du maître de l’ouvrage, il n’y a pas lieu de rechercher si les conséquences du préjudice étaient « imprévisibles et extérieures aux parties ». En cas de faute du maître de l’ouvrage il y a une indemnisation « automatique » du préjudice que l’entreprise peut démontrer.
On doit aussi relever un arrêt de la Cour Administrative d’appel de Nancy, n° 96NC02181, 22 novembre 2001 qui considère qu’un maitre de l’ouvrage qui décide en cours de chantier « de ne plus prendre en compte les intempéries dont la réalité n'était cependant pas contestée, afin de contraindre les entreprises de terminer dans les délais prévus au marché » a un comportement contraire aux droits des entreprises aux termes des documents contractuels qui engage sa responsabilité.
Le Conseil d’Etat considère aussi qu’un maître de l’ouvrage de confier une mission de maîtrise d'œuvre réduite, en ce qui concerne la mise au point du projet, à la moitié des spécifications techniques détaillées et des plans d'exécution des ouvrages, était en l'espèce inadaptée à la conception de l'ouvrage. Dès lors, le maître d'ouvrage a par ce choix commis une faute de nature à engager sa responsabilité (Conseil d'État, n° 325195, 24 novembre 2010).
Pour une Cour administrative d’appel (Cour administrative d’appel de Nancy, 11 janvier 2007, n°02NC01252) les clauses d’un « CCAP » qui écarte la responsabilité du maître de l’ouvrage en cas d’erreur dans les quantités et qui avance que l’entreprise est réputée avoir une connaissance parfaite des lieux ne sont pas applicables lorsque les circonstances à l'origine du préjudice sont imputables au fait de l'administration, et notamment lorsque les documents techniques soumis à l'appel d'offres sont entachés d'erreurs suffisamment graves quant à la nature et aux quantités d'ouvrages à réaliser pour interdire aux soumissionnaires de présenter leurs propositions en connaissance de cause.
La jurisprudence est donc claire et empreinte d’une certaine morale : le maître de l’ouvrage doit payer les fautes qu’il commet.
Maitre Patrice Cossalter, Société d’avocats LEGITIMA